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21/09/2010
Claude Rieffel / Avoir Alire
Miel - la critique

Ours d’or à Berlin, ce très joli récit d’enfance se complaît un peu longuement dans l’album photo avant de décoller dans son dernier tiers, vraiment magnifique.
L’argument : Yusuf a 6 ans, il vit avec ses parents dans un village isolé d’Anatolie. Pour le petit garçon, la forêt environnante est un lieu de mystère et d’aventure où il aime accompagner Yakup, son père apiculteur. Il le regarde avec admiration installer ses ruches et récolter le miel à la cime des arbres. Les abeilles se faisant de plus en plus rares, Yakup est obligé de partir travailler plus loin dans la forêt. Mais il tarde à revenir, et le monde se retrouve soudain plein de son absence.

Notre avis : Troisième volet de la Trilogie de Yussuf, après Yumurta - oeuf et Süt - Lait, Bal - Miel s’est vu attribuer le prestigieux Ours d’Or du Festival de Berlin, consacrant son auteur, déjà remarqué à Cannes et à Venise grâce aux volets précédents de cet ensemble plus ou moins autobiographique.

Ce nouvel opus de Semih Kaplanoğlu appartient à la catégorie périlleuse des films sur l’enfance, s’attachant à transcrire les impressions et les expériences du petit Yussuf, 6 ans, incarné par Bora Altas, aux yeux écarquillés et à l’air grave. Le regard attentif qu’il porte sur ce qui l’entoure est clairement celui du futur poète. Et la poésie est bien ce vers quoi tend ce film (émaillé d’ailleurs de plusieurs citations). Les épisodes qui se succèdent sont autant de pages d’un album qui réunirait toutes les images qui vont imprégner l’esprit de l’enfant et ressurgiront plus tard dans ses poèmes. Il en résulte, pendant une bonne première moitié du film, une certaine sensation de piétinement, le catalogue alignant de (trop) jolis clichés.

Il y a de fort belles choses pourtant : les scènes à l’école, où le bégaiement de Yussuf lorsqu’il doit lire à haute voix fait de lui la cible des railleries de ses camarades ; celles où le gamin accompagne dans la forêt son père apiculteur, ou celles encore où il lui raconte ses rêves en chuchotant contre son oreille.

Mais tout cela semble un peu trop apprêté et le véritable envol poétique tarde à se produire. Il faudra attendre le dernier tiers du film pour qu’une vibration nouvelle surgisse et réveille notre attention quelque peu endormie. L’inquiétude que l’absence prolongée du père suscite chez l’enfant et sa mère, personnage bien effacé jusque là, transparaît dans tous leurs faits et gestes, bien qu’ils s’efforcent de faire comme si de rien n’était, et se communique au spectateur, dont la perception se fait plus aigüe. A l’approche de la tragédie le film quitte le monde paysan, fermé et comme hors du temps, auquel il était confiné jusqu’alors (maison, forêt et même l’école aux rites d’un autre âge) pour s’ouvrir au monde. La musique fait soudain irruption lors d’une étonnante cérémonie rituelle célébrée uniquement par des femmes et l’espace s’élargit lorsque une séquence de caractère franchement documentaire nous fait assister à une fête en plein air dans la montagne.

Toute cette dernière partie, comme saisie de fièvre, est magnifique d’intensité, oubliant le joli de ce qui précédait pour laisser entrer le souffle de la vie en même temps que celui de la mort.